Les fenêtres (vues et jours) dans l’ère du nouveau Code civil. Que faut-il retenir ?

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La loi portant création d'un Code civil a été promulguée le 13 avril 2019 et publiée le 14 mai 2019 au Moniteur belge. La loi portant le livre 3 « Les biens » du Code civil a, quant à elle, été promulguée le 4 février 2020 et vient d’être publiée ce 17 mars 2020. Ce livre 3 entrera en vigueur le 1er septembre 2021. Que prévoit-il en matière de vues et de jours ? Voici un bref aperçu.

1. Les règles en matière de jours et de vues[1], reprises aux articles 675 à 680bis du Code civil, sont bien connues :

  • L’un des voisins ne peut, sans le consentement de l’autre, pratiquer dans le mur mitoyen aucune ouverture ;
  • Le propriétaire d’un mur non mitoyen, joignant immédiatement le terrain d’une autre personne, peut pratiquer dans ce mur des jours à fer maillé et verre dormant. Ces jours ne peuvent être établis qu’à partir de 2,6 m au-dessus du plancher de la chambre qu’on veut éclairer, si c’est au rez-de-chaussée, et à partir à 1,9 m au-dessus du plancher pour les étages supérieurs ;
  • On ne peut avoir des vues droites sur le terrain de son voisin que s’il y a au moins 1,9 m de distance entre le mur où on les pratique et ledit terrain ;
  • On ne peut avoir des vues obliques sur le terrain voisin que s’il y a au moins 60 cm de distance ;
  • Ces limitations ne sont pas applicables aux propriétés situées le long de voiries publiques et chemins de fer qui appartiennent au domaine public.

2. Le 13 avril 2019, a été promulguée la loi portant création d’un nouveau Code civil et y insérant le « Livre 8 » sur la preuve. Le « Livre 3 » de ce nouveau Code civil portant sur les biens a été adopté par la Chambre le 30 janvier 2020. Cette loi a été publiée au Moniteur belge ce 17 mars 2020. Elle entrera en vigueur le 1er septembre 2021. Les 7 autres Livres du nouveau Code civil n’ont, quant à eux, pas encore été adoptés.

Le nouveau texte applicable en matière de jours et de vues est repris à l’article 3.132 du nouveau Code civil. Il énonce ce qui suit pour ce qui concerne les « distances pour les fenêtres, ouvertures de murs et autres ouvrages semblables » :

« § 1er Le propriétaire d’une construction peut y réaliser des fenêtres au vitrage transparent, des ouvertures de mur, des balcons, des terrasses ou des ouvrages semblables pour autant qu’ils soient placés à une distance droite d’au moins dix-neuf décimètres de la limite des parcelles. Cette distance est mesurée par une ligne tracée perpendiculairement à l’endroit le plus proche de l’extérieur de la fenêtre, de l’ouverture de mur, du balcon, de la terrasse ou des ouvrages semblables jusqu’à la limite des parcelles.
Un propriétaire ne peut placer de fenêtres, d’ouvertures de mur, de balcons, de terrasses ou d’ouvrages semblables dans ou sur un mur mitoyen.
§ 2. Le voisin peut exiger l’enlèvement des ouvrages qui ont été érigés en violation de cette distance, sauf si:
1° il existe un accord sur ce point entre les voisins;
2° au moment de la réalisation des travaux, sa parcelle appartenait au domaine public ou était un bien indivis accessoire à la construction dont l’ouvrage concerné fait partie;
3° les ouvrages ne peuvent engendrer le moindre risque pour la vie privée et les bonnes relations de voisinage, par exemple parce que la vue ne porte pas plus loin que dix-neuf décimètres à partir de ces ouvrages;
4° la fenêtre, l’ouverture de mur, la terrasse, le balcon ou les ouvrages semblables se trouvent depuis au moins trente ans à l’endroit concerné 
»

3. Il ressort des travaux préparatoires de cette loi que la Chambre des représentants a considéré que les anciens articles 675 à 680bis distinguaient trop de notions (les jours et les vues, les vues droites et les vues obliques, les vues au rez-de-chaussée et les vues à l’étage), ce qui engendrait, à son estime, « une dispersion et une réglementation particulièrement complexe, parfois peu raisonnable ».

Les 7 articles sur les jours et les vues ont dès lors été réduits à un seul, l’article 3.132 composé de deux paragraphes.

Au paragraphe 1er de la nouvelle disposition proposée, il n’est plus question de jours et vues, mais de fenêtres, d’ouvertures de mur, de balcons, de terrasses et d’ouvrages semblables. Le législateur a, pour le reste, opté pour une règle générale simplifiée et uniforme de distance : pour pratiquer une ouverture, il faut au moins de 1,9 m de distance par rapport à la limite séparative du fonds voisin. Par ailleurs, il a maintenu la règle interdisant toute ouverture dans un mur mitoyen.

Si une ouverture irrégulière est pratiquée, il va de soi que le voisin qui subit celle-ci peut en exiger la suppression. Sous l’empire de l’ancien Code civil, cette règle connaissait déjà des exceptions (résultant de la théorie de l’abus de droit, de l’existence d’une servitude conventionnelle…) dont une seule était reprise en tant que telle dans le code (celle visée à l’article 680bis, voy. infra).

Le paragraphe 2 de l’article 3.132 du nouveau Code civil innove en reprenant expressément toutes les hypothèses dans lesquelles une ouverture peut être créée ou maintenue en violation de la règle de distance de 1,9 m susvisée :

  • Lorsqu’il existe un accord sur ce point entre les voisins 
  • Lorsqu’au moment de la réalisation des travaux, la parcelle du voisin appartenait au domaine public (ancien art. 680bis du Code civil) ou était un bien indivis accessoire à la construction dont l’ouvrage concerné fait partie ;
  • Lorsque les ouvrages ne peuvent engendrer le moindre risque pour la vie privée et les bonnes relations de voisinage, par exemple parce que l’ouverture ne porte pas plus loin que 1,9 m à partir de ces ouvrages (par exemple, lorsque l’ouverture donne sur un mur aveugle ou un toit, …) ;
  • Lorsque la fenêtre, l’ouverture de mur, la terrasse, le balcon ou les ouvrages semblables se trouvent depuis au moins trente ans à l’endroit concerné. 

Il n’était, à notre sens, pas indispensable de reprendre certaines de ces réserves. Ainsi, par exemple, en cas d’accord des voisins, est créée en réalité une servitude du fait de l’homme par titre ayant pour objet la création d’une vue ou d’un jour qui ne doit pas respecter pas les règles du Code civil. Il n’était pas non plus indispensable de prévoir expressément l’application de la théorie de l’abus de droit ou de la théorie des troubles de voisinage, celles-ci s’appliquant en tout état de cause.

4. Revenons quelques instants sur cette la dernière exception prévue par l’article 3.132 du nouveau Code civil. Avant son adoption, il était déjà communément admis qu’en maintenant pendant trente ans une ouverture de manière irrégulière (c’est-à-dire sans respecter les règles du Code civil), la personne qui a pratiqué cette ouverture acquiert-il le droit de maintenir celle-ci.

La justification donnée à ce droit fait cependant l’objet d’une controverse dans la doctrine et la jurisprudence.

  • Certains auteurs et tribunaux considèrent qu’une simple ouverture sans empiètement sur le fonds voisin (balcon, rebord…) ne peut pas donner lieu à une prescription acquisitive d’une servitude. Ce premier courant – auquel nous adhérons – considère qu’à la suite du maintien d’une ouverture illégale pendant trente ans, il y a simplement une prescription extinctive de la servitude légale imposant le respect des règles du Code civil. A la suite de cette prescription extinctive, le propriétaire du fonds dominant (celui qui a droit au respect du Code civil) perdrait ainsi le droit de réclamer la suppression de l’ouverture illégale à défaut pour lui d’avoir agi dans un délai de trente ans.
     
  • D’autres auteurs et tribunaux considèrent, en revanche, de manière beaucoup moins convaincante, qu’en pratiquant des ouvertures illégales, le voisin commettrait une forme d’empiètement sur le droit du voisin (on se demande cependant bien de quel empiètement il pourrait s’agir…) et – si la possession répond aux conditions de l’article 2229 du Code civil[2] pendant une durée de trente ans  acquerrait une servitude – appelée « servitude d’aspect » ou « servitude passive » – lui permettant de conserver une ouverture qui ne répond pas aux conditions du Code civil.

Malheureusement, le législateur n’a profité du nouveau Livre 3 pour mettre fin à cette controverse et a préféré ne pas s’exprimer quant au type de prescription qui intervient.

Cependant, il convient d’insister sur le fait qu’en elle-même, la perte du droit de réclamer la suppression de l’ouverture illégale (et ce, que ce soit à la suite d’une prescription extinctive de la servitude légale ou d’une prescription acquisitive d’une servitude) n’interdit pas au voisin qui ne peut plus réclamer la suppression de l’ouverture, d’effectuer des travaux et d’ériger des constructions qui, le cas échéant, pourraient obstruer les vues ou jours irrégulièrement percés depuis plus de trente ans.

Une servitude de non aedificandi (appelée aussi, en matière de jours et vues, « servitude de prospect » ou « servitude active ») ne pourrait, en effet, se prescrire que si les voisins qui s’en prévalent peuvent démontrer qu’outre la vue qu’ils ont pratiquée, ils ont possédé pendant trente ans des ouvrages en saillie sur le fonds d’autrui. Ce n’est, en effet, que dans ce cas, que l’empiètement implique un élément d’apparence indispensable pour prescrire une servitude. En d’autres termes, l’usucapion d’une servitude du fait de l’homme empêchant le voisin de bâtir sur son propre fonds n’est admissible que s’il y a possession trentenaire d’ouvrages faisant saillie sur ce fonds (balcons ou auvents par exemple) car tout usucapion suppose une usurpation, c’est-à-dire une empiétement matériel effectif.

[1] Le jour est une fenêtre qui ne s’ouvre pas et qui ne laisse passer que la lumière, tandis que la vue est une fenêtre ouvrante qui laisse passer à la fois l’air et la lumière et à laquelle on assimile les ouvertures comme les balcons, terrasses ou loggias.

[2] Pour répondre aux conditions de l’article 2229 du Code civil, la possession doit être continue, paisible, publique et non équivoque pendant les trente ans nécessaires pour prescrire.