Du nouveau en matière de « plans et programmes » !
Dans ses conclusions du 25 janvier 2018 établies dans le cadre de deux demandes de décision préjudicielle formées par le Conseil d’Etat de Belgique, l’avocat général J. KOKOTT a considéré que le périmètre de remembrement urbain en Wallonie et le règlement régional d’urbanisme en Région de Bruxelles-Capitale sont des « plans et programmes ».
A. Rappel du contexte
Tel que cela ressort de son article 1er, la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement (ci-après « directive ESIE ») a pour objet d’assurer un niveau élevé de protection de l’environnement et de contribuer à l’intégration de considérations environnementales dans l’élaboration et l’adoption de plans et de programmes en vue de promouvoir un développement durable en prévoyant que certains plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement soient soumis à une évaluation environnementale.
L’article 2, a), de la directive ESIE définit les « plans et programmes » comme les « plans et programmes, y compris ceux qui sont cofinancés par la Communauté européenne, ainsi que leurs modifications », qui sont « élaborés et/ou adoptés par une autorité au niveau national, régional ou local ou élaborés par une autorité en vue de leur adoption par le parlement ou par le gouvernement, par le biais d'une procédure législative » et qui sont « exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives ».
L’article 3 définit les cas où une évaluation environnementale doit être effectuée. Font ainsi l’objet d’une telle évaluation, tous les plans et programmes susceptibles d'avoir des incidences « qui sont élaborés pour les secteurs de l’agriculture, de la sylviculture, de la pêche, de l’énergie, de l’industrie, des transports, de la gestion des déchets, de la gestion de l’eau, des télécommunications, du tourisme, de l’aménagement du territoire urbain et rural ou l’affectation des sols et qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets énumérés aux annexes I et II de la directive 85/337/CEE pourra être autorisée à l’avenir » ainsi que ceux « pour lesquels, étant donné les incidences qu’ils sont susceptibles d’avoir sur des sites, une évaluation est requise en vertu des articles 6 et 7 de la directive 92/43/CEE ». Pour les autres plans et programmes qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets pourra être autorisée à l’avenir, les États membres doivent déterminer s’ils sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement.
Dans notre article du 2 novembre 2016 publié sur le présent blog, nous avons commenté en détail l’arrêt du 27 octobre 2016 de la Cour de l’Union européenne (D’Oultremont e.a., C-290/15) dans lequel la Cour a précisé que la notion de plans et programmes se rapporte « à tout acte qui établit […] un ensemble significatif de critères et de modalités pour l’autorisation et la mise en œuvre d’un ou de plusieurs projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ».
Dans ses conclusions du 25 janvier 2018, l’avocat général KOKOTT a été amenée à confronter cette interprétation de la notion de plan et programme dans deux nouveaux cas de figure qui concernent la Belgique : d’une part, le périmètre de remembrement urbain (ci-après « PRU ») en Wallonie (B) et, d’autre part, le règlement régional d’urbanisme en Région de Bruxelles-Capitale (ci-après le « RRU ») (C).
B. Affaire C-160/17 Thybaut e.a. – Périmètre de remembrement urbain
Dans son arrêt n°230.075 du 2 février 2015 (Thybaut et consorts), le Conseil d’Etat a posé à la Cour de Justice de l’Union européenne la question de savoir si le périmètre de remembrement urbain visé à l’article 127 du CWATUPE constitue un plan ou un programme et ce, compte tenu des caractéristiques suivantes du PRU :
- le PRU a pour seul objet de déterminer le contour d’une zone géographique susceptible de voir se réaliser un projet d’urbanisme, étant entendu que ce projet, qui doit poursuivre un objectif déterminé – en l’occurrence, porter sur la requalification et le développement de fonctions urbaines et qui nécessite la création, la modification, l’élargissement, la suppression ou le surplomb de la voirie par terre et d’espaces publics –, fonde l’adoption du périmètre, qui emporte donc l’acceptation de son principe, mais qu’il doit encore faire l’objet de permis qui nécessitent une évaluation des incidences ;
- il a pour effet, du point de vue procédural, de faire bénéficier les demandes de permis pour des actes ou des travaux situés dans ce périmètre d’une procédure dérogatoire (dont l’autorité délivrante est le gouvernement et non la commune), étant entendu que les prescriptions urbanistiques applicables pour les sols concernés avant l’adoption du périmètre demeurent d’application, mais que le bénéfice de cette procédure peut permettre d’obtenir plus aisément une dérogation à ces prescriptions ;
- il bénéficie d’une présomption d’utilité publique pour la réalisation d’expropriations dans le cadre du plan d’expropriation y annexé.
Selon l’avocat général J. Kokott, « deux des trois régimes particuliers applicables à une telle zone géographique, à savoir le changement de l’autorité habilitée à délivrer des permis et la faculté d’exproprier des terrains ne sont pas en eux-mêmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement » et ne participent pas à la notion de « plans et programmes » telle que précisée par l’arrêt D’Oultremont. Cependant, elle considère que « le troisième régime particulier induit par le périmètre de remembrement urbain a […] une autre nature ».
Aux termes de l’article 127, § 3, du CWATUPE, le permis peut être accordé dans ce périmètre en s’écartant de règles urbanistiques en vigueur, ce qui vise les plans de secteur, les plans communaux d’aménagement, les règlements communaux d’urbanisme et les plans d’aligne-ment. Cette habilitation à s’écarter de règles en vigueur s’apparente, relève-t-elle, à leur abrogation : « en effet, la détermination d’un périmètre de remembrement urbain permet en principe d’y réaliser des projets aux incidences notables sur l’environnement, auxquels s’opposaient auparavant les règles urbanistiques en vigueur. On songera notamment à des restrictions aux dimensions des bâtiments ou à l’utilisation de superficies, qui ne doivent plus être observées. […] Elle comporte tout de même indirectement une détermination, qui peut être décisive, de critères et de modalités pour l’autorisation et la mise en œuvre de projets : les superficies concernées peuvent attirer tous les types de projets tributaires de dérogations aux règles urbanistiques en vigueur ».
Elle fait un parallèle sur ce point avec la problématique de l’abrogation d’un plan qui a été considérée, par l’arrêt du 22 mars 2012 (Inter-Environnement Bruxelles e.a., C-567/10), comme entrant dans le champ d’application de la directive ESIE.
Pour le reste, elle écarte tous les arguments avancés par la Belgique :
- à l’argument consistant à soutenir que la seule détermination d’un PRU ne signifie pas encore que des projets seront réalisés, elle répond que « cette considération vaut finalement pour toutes les prescriptions de plans et programmes : ils n’ouvrent que la possibilité d’incidences sur l’environnement susceptibles d’être créées par des projets concrets. Le législateur a manifestement considéré que cette potentialité, par nature, des prescriptions de plans et programmes ne s’oppose pas à une évaluation environnementale » ;
- en réponse à l’observation de la Belgique selon laquelle ce n’est qu’à l’occasion des projets qui seront mis en œuvre dans le périmètre du PRU que l’on pourra évaluer concrètement des incidences sur l’environnement, elle énonce qu’ « il est exact qu’une évaluation environnementale de la détermination d’un périmètre de remembrement urbain ne peut pas garantir de couvrir rigoureusement les incidences sur l’environnement qui se produiront effectivement ultérieurement. […] Mais une évaluation environnementale peut à tout le moins tenter de décrire dans une approche réaliste fondée sur les données de la zone géographique et les conditions techniques, les incidences éventuelles sur l’environnement dans le cas où seraient réalisés des projets qui ne seraient plus limités par les règles urbanistiques en vigueur. Cette méthode contribuerait grandement à la transparence en ce qu’elle contraindrait les autorités à préciser les développements ultérieurs qu’elles rendent possibles en déterminant un périmètre de remembrement urbain ».
- enfin, elle relève que « la circonstance qu’il serait en principe possible de prendre pleinement en compte la dérogation éventuelle aux règles urbanistiques en vigueur dans l’évaluation de projets ultérieurs au titre de la directive EIE n’empêche pas non plus de qualifier un périmètre de remembrement urbain de plan ou de programme ».
En conclusion, l’avocat général J. Kokott considère qu’un acte juridique, comme le PRU, qui permet, dans une zone géographique déterminée, d’autoriser des projets en s’écartant des prescriptions de certaines règles urbanistiques, doit être qualifié de plan ou de programme lorsque les règles urbanistiques en vigueur, auxquelles il peut être dérogé, s’opposent, compte tenu des données locales concrètes, à des projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement.
Il appartiendra dès lors au juge national d’examiner si les règles urbanistiques en vigueur, auxquelles il peut être dérogé, s’opposent, compte tenu des données locales concrètes, à des projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement. Dans la pratique, il y a fort à croire que tout PRU devra donc faire l’objet d’une évaluation environnementale.
C. Affaire C-671/16 – Inter-Environnement Bruxelles e.a. – Règlement régional d’urbanisme
Dans cette seconde affaire, la question posée par le Conseil d’Etat était de savoir si entre dans la notion de « plans et programmes » un règlement d’urbanisme adopté par une autorité régionale :
- qui comporte une cartographie fixant son périmètre d’application, limité à un seul quartier, et délimitant au sein de ce périmètre différents îlots auxquels s’appliquent des règles distinctes en ce qui concerne l’implantation et la hauteur des constructions ; et
- qui prévoit également des dispositions spécifiques d’aménagement pour des zones situées aux abords des immeubles, ainsi que des indications précises sur l’application spatiale de certaines règles qu’il fixe en prenant en considération les rues, des lignes droites tracées perpendiculairement à ces rues et des distances par rapport à l’alignement de ces rues ; et
- qui poursuit un objectif de transformation du quartier concerné ; et
- qui fixe des règles de composition des dossiers de demandes d’autorisation d’urbanisme soumises à évaluation des incidences sur l’environnement dans ce quartier.
L’avocat général relève tout d’abord que « lorsque des mesures s’inscrivent dans une hiérarchie de normes, il est courant de fixer le cadre des décisions subséquentes. Dans ce cadre, les prescriptions sont d’autant plus détaillées que l’on s’approche de la décision finale sur le cas individuel, par exemple un permis d’urbanisme. Dans le même temps, en tout cas pour ce qui concerne l’adoption de la décision individuelle, une éventuelle marge d’appréciation est en principe déjà limitée par des normes de rang supérieur, par exemple, dans le cas d’un permis d’urbanisme, par les règlements relatifs à la possibilité de construire ou à l’utilisation de certains espaces. Dans ce modèle hiérarchique, la directive ESIE garantit que les décisions qui sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ne soient adoptées qu’après évaluation de ces incidences ».
A l’observation du Danemark qui considérait qu’un plan ou programme suppose nécessairement « une pluralité de prescriptions qui doivent en outre atteindre un certain poids », J. Kokott a répondu qu’elle n’était pas convaincue par cette approche quantitative (qui permettrait de contourner l’application de la directive ESIE par une fragmentation des mesures), mais qu’elle privilégiait une approche qualitative et qu’ « il y a donc lieu de considérer que des critères et modalités fixés pour l’autorisation et la réalisation de projets qui ont des incidences notables sur l’environnement constituent un ensemble significatif et, partant, un plan ou un programme, lorsque ces incidences du projet sur l’environnement résultent précisément des critères et modalités en question ». En conséquence, il faut, pour déterminer si un plan ou un programme relève de la directive ESIE, rechercher si ce que détermine la mesure en cause est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement.
Quant au RRU, elle considère qu’il appartient au Conseil d’État d’examiner si un RRU répond à ces critères, mais relève qu’ « il pourrait être significatif que, selon la demande de décision préjudicielle, le règlement d’urbanisme zoné contient notamment des dispositions relatives à l’implantation et à la hauteur des bâtiments ainsi que des dispositions spécifiques concernant l’aménagement des zones situées aux abords des immeubles et poursuit globalement un objectif de transformation du quartier concerné. Selon la manière dont ils sont définis, les critères et modalités en question pourraient avoir des incidences notables sur l’environnement urbain, par exemple sur le climat local et la biodiversité ».
Elle exclut, en revanche, de la notion de plans et programmes les règles de composition des dossiers de demandes d’autorisations d’urbanisme.
Enfin, notons que comme dans la précédente affaire, l’avocat général a écarté toutes les objections soulevées par l’Etat belge :
- selon elle, l’on ne saurait inclure dans la notion de « plans et programmes » que des programmes concrets de l’administration par lesquels les autorités se fixent certains objectifs et les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre ainsi que le cadre temporel ;
- l’insécurité juridique qui résulterait de la jurisprudence de la Cour ne saurait avoir un impact sur l’interprétation de la notion de « plans et programmes » ; elle relève d’ailleurs que cette insécurité est partiellement atténuée par les dispositions qui permettent, dans certaines circonstances, de maintenir provisoirement les effets de mesures qui auraient été adoptées en violation de la directive ESIE.
L’avocat général considère donc qu’un RRU entre dans la notion de « plans et programmes » et requiert une évaluation au sens de la directive ESIE s’il est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement.
D. Conclusion
L’avocat général J. Kokott propose donc à la Cour de Justice de l’Union européenne de consolider sa jurisprudence D’Oultremont dans ces deux nouvelles affaires. Force est de constater que la notion de « plans et programmes » est interprétée largement et englobe la plupart des instruments planologiques et programmatiques « encadrés » dans les trois régions du pays.
Les conclusions générales ci-dessus commentées apportent cependant une lueur d’espoir à ce rouleau compresseur que constitue la jurisprudence D’Oultremont. J. Kokott fait remarquer, en effet, que la jurisprudence de la Cour a peut-être effectivement étendu le champ d’application de la directive ESIE au-delà de ce qu’envisageait le législateur et de ce que pouvaient prévoir les États membres. Cependant, selon elle, « cela ne résulte pas de la définition de la double notion de « plans et programmes », mais de l’interprétation de la caractéristique visée à l’article 2, sous a), deuxième tiret, selon laquelle ceux-ci sont exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives. […] Il suffit en principe à cet égard, comme nous l’avons dit, qu’une mesure soit encadrée par des dispositions législatives ou réglementaires nationales, lesquelles déterminent les autorités compétentes pour l’adopter ainsi que sa procédure d’élaboration. Il n’est donc pas requis que l’adoption d’une telle mesure soit obligatoire, ce qui est plutôt rare, mais il suffit qu’elle constitue un instrument disponible. Cela étend considérablement l’obligation de procéder à une évaluation environnementale. Ainsi que nous l’avons déjà exposé, cette interprétation, qui est fondée sur l’objectif légitime d’une évaluation environnementale couvrant toutes les mesures pertinentes, va à l’encontre de l’intention manifeste du législateur ».
Toutefois, relève l’avocat général, « cette jurisprudence n’est mise en cause ni par la présente demande de décision préjudicielle ni par les parties à la procédure. La Cour ne devrait donc pas y revenir et la réviser de sa propre initiative dans la présente affaire, mais réserver cette question dans l’attente d’une affaire appropriée ».
L’avocat général n’exclut donc pas un revirement de jurisprudence à l’avenir qui exclurait du champ d’application de la directive ESIE les plans et programmes qui ne sont pas obligatoires.
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